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Publié par Les Orangeries

Dans ses Orangeries de Lussac-lès-Châteaux (Vienne), David Royer trace son chemin sans trop faire parler de lui. Discret, il n’aime pas la lumière médiatique et préfère mettre en avant ses producteurs et ses équipes. Pourtant, le Breton a une très belle histoire à raconter, que ce soit dans l’assiette ou dans son approche engagée et responsable de la cuisine. Accro au végétal, mais certainement pas anti-viande, il a envie d’aller plus loin en cuisine, d’en faire plus pour défendre ses valeurs. Entretien.

Mots-clés : cuisine, végétal, producteurs, médiatisation, Jöel Robuchon


Atabula - Vous êtes actifs sur les réseaux sociaux mais l’on sait peu de choses de votre restaurant. Que va-t-on trouver aux Orangeries ?

 

David Royer – Il n’est jamais facile de parler de son restaurant et de sa cuisine. Les mots ne peuvent pas remplacer l’expérience. Néanmoins, je peux dire que je réalise une cuisine qui s’inscrit dans une approche très locale, avec la volonté de mettre en avant les producteurs qui travaillent proprement et qui se situe au plus près du restaurant pour être le plus locavore possible.

Tous les chefs – ou presque – parlent de leurs producteurs, leur importance dans la réalisation de leur carte. Mais on sent chez vous qu’ils ont une place encore plus importante…

Nous sommes dans une région qui n’est pas très riche en bons restaurants mais qui, en revanche, regorge de petits producteurs engagés et passionnants. Chaque jour ou presque, je suis en contact avec eux, je me déplace pour les rencontrer, comprendre leur travail, leurs contraintes. En agissant ainsi, je comprends mieux le produit. Donc je suis plus à même de le cuisiner sans le détériorer. Quand, par exemple, je suis dans le Jardin des Possibles avec Nicole Seiler et qu’elle me parle de ses fleurs, je saisis le travail nécessaire pour les faire pousser, pour simplement les faire vivre. Quand je me retrouve derrière les fourneaux, je respecte toutes les fleurs, de la première à la dernière. Une petite fleur jetée, c’est déjà trop. Être un chef responsable, ça commence tout simplement par cette prise de conscience quotidienne.

Votre carte est largement tournée vers le végétal et vous souhaitez aller encore plus loin. Demain, il n’y aura plus de viande aux Orangeries ?

Ma cuisine a toujours été végétale mais j’en ai réellement pris conscience ici. D’où mon envie d’augmenter encore la part du végétal et réduire la part des protéines animales. Cette tendance est aujourd’hui largement présente en restauration. Quant à aller jusqu’à la suppression de la viande sur la carte, c’est un coup à perdre la clientèle locale.

Pourquoi ?

Parce que le client veut toujours son plat de viande ! À Paris ou dans d’autres grandes villes françaises, vous pouvez faire ce choix car le bassin de consommateurs est conséquent et ouvert à toutes les tendances. Ici, le risque est trop grand. Mais cela ne nous empêche pas de tendre vers ça. A nous de sensibiliser et d’expliquer à nos clients nos choix.

Sensibiliser, expliquer et créer également un rapport de confiance entre le client et vous ?

La confiance, c’est la clé. Quand vous proposez un menu « découverte », vous passez un contrat de confiance avec le client. De fait, il se crée un rapport particulier avec celui qui va manger des plats qui n’ont pas été choisis mais imposés. Nous avons mis en place en 2016 un menu « découverte » en six services au tarif de 51 euros. Ce menu a été proposé pendant six mois ; nous en avons vendu à seulement dix tables. Ça été un échec.


Exposition sur le thème « Changer le climat dans notre assiette »

David Royer sera l’un des quatre chefs qui participent à l’exposition intitulée « Changer le climat dans notre assiette », aux côtés de Nadia Sammut, Jacques Marcon et François Pasteau. L’initiative de ce projet revient à l’association Bon pour le Climat. Les photographies ont été réalisées par Alain Fouray. L’exposition sera itinérante dans plusieurs grandes villes françaises à partir de janvier 2018. Certaines photos viennent d’être présentées en avant-première lors de la Fête de l’Humanité à Paris (15-17 septembre).

Comment pouvez-vous changer cela et instaurer un tel menu puisque vous avez envie d’aller vers une offre « découverte » ?

 

Les clients qui ont pris le menu « découverte » étaient ravis ! Je pense que le problème ne réside pas tant dans la qualité de nos assiettes, mais dans un déficit de communication et d’image. À nous de mieux expliciter notre démarche, notre approche de la restauration, à moi d’affirmer aussi mes choix et de tenir le bon discours. À chaque fois que nous recevons une distinction – Jeune Talent Gault & Millau en 2016 ; distingué de trois étoiles par la Sustainable Restauration Association –, il y a une nouvelle clientèle qui vient goûter. Tout  cela va dans le bon sens, mais ça prend du temps. D’autant plus que le client est de moins en moins bavard et exprime de moins en moins son avis en direct.

C’est-à-dire ?

J’ai le sentiment qu’avec l’émergence des sites de commentaires, Tripadvisor en tête, les clients s’expriment moins en direct avec l’équipe en salle. Je leur demande de poser la question de savoir si tout se passe bien au moins une fois à chaque table. La plupart du temps, la réponse est très évasive. En revanche, les mêmes clients iront plus facilement s’exprimer sur Tripadvisor. Certes, c’est un moyen de savoir ce qu’ils ont pensé du repas, mais cela enlève l’intérêt d’un échange construit entre l’équipe et le client. Je trouve cela dommage car le client est un acteur du restaurant avec lequel il est crucial d’échanger.

La plupart des restaurateurs connaissent des soucis importants de recrutement. Est-ce également votre cas ?

Bien sûr ! Le recrutement est une galère sans nom. En cuisine, l’équipe est restreinte et nous nous en sortons pas trop mal. En revanche, c’est beaucoup plus complexe pour le personnel de salle. Et pourtant ! Aux Orangeries, les conditions de travail sont bonnes, la région est magnifique, il y a tout ou presque. Mais le problème est national et il faut s’adapter au jour le jour.

Comment expliquez-vous ce problème récurrent ?

Les raisons sont multiples. Mais je pense que la télévision n’a pas fait que du bien à la profession. Dans un premier temps, les émissions ont fait venir du monde dans les écoles en vendant une image idéalisée des professions liées à la restauration. Puis, confrontés au réel, au quotidien, les élèves ont déserté ! Je parlais récemment avec un professeur d’une école hôtelière : sur un cursus de trois ans, il a perdu 75% de sa classe. À chaque stage, les élèves se rendaient compte qu’il y avait un écart entre la réalité et ce que la télévision avait montré. Le mal est profond et il va falloir s’attaquer sévèrement à la question.


David Royer chez Unilever

« Entre la Finlande et mon arrivée aux Orangeries, j’ai travaillé pour l’entreprise Unilever en France. Cette expérience m’a ouvert l’esprit et j’ai beaucoup appris. J’étais le responsable des produits pour des marques comme Amora, Knorr, Maille, Miko ou Maïzena. Mes missions s’étendaient de la conception jusqu’à l’arrivée des produits en magasin. Il y avait un réel souci du client final et la volonté de sortir le meilleur produit possible. Pour lancer une nouvelle soupe par exemple, il fallait compter deux ans de travail, de l’idée jusqu’aux prototypes, les ajustements, les dégustations en interne, puis avec un panel extérieur, etc. Comme beaucoup de chefs qui sont passés par cet univers, on comprend que l’univers de l’agroalimentaire est plus complexe qu’il n’y paraît »

Comment expliquez-vous que votre département – et votre région -  ne comptent que si peu de tables étoilées ?

 

À vrai dire, je n’en sais rien. C’est une discussion que nous avons de temps en temps avec Richard Toix (chef étoilé du restaurant Passions et Gourmandises, à Saint-Benoit, ndlr). Il y a quelques jolies tables dans la région mais elles ne communiquent pas et passent de fait sous les radars médiatiques.

L’Institut Joël Robuchon devrait ouvrir ses portes en 2019 à Montmorillon, ville située à une quinzaine de kilomètres de Lussac-lès-Châteaux. Est-ce une bonne nouvelle sachant qu’il y aura des espaces restauration au sein de l’Institut ?

Certains ont peur de cette nouvelle concurrence. Mais ce n’est pas mon cas. C’est au contraire une très bonne nouvelle. Joël Robuchon est un enfant du pays ; son nom et son image rayonnent dans le monde entier. Nul doute qu’il va apporter beaucoup, que ce soit en termes de clients ou en personnel. Et s’il doit avoir une concurrence, alors tant mieux : les chefs aiment les défis.

 

Propos recueillis par Franck Pinay-Rabaroust pour Atabula

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